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 Stephen Baxter 

Stephen Baxter


Claude Ecken

fc9655b70f7392a2826caea2d50476b8.jpg Né à Liverpool en 1957, Stephen Baxter s'est imposé d'emblée en France avec un très grand roman, Les Vaisseaux du temps. Il n'en était pas à son coup d'essai : sa série des Xeelees, extraterrestres contre lesquels l'humanité est en guerre et qu'on retrouve dans la saga des Enfants de la destinée, entamée en 1991, en était à son quatrième volume. Avant cela, il avait publié des nouvelles dans divers supports, à partir de 1986.
Ses thèmes de prédilection : l'espace et l'évolution. Cet ancien candidat astronaute fut éliminé en 1991des tests de sélection pour la station spatiale Mir. Sa déception, devant la façon dont la NASA a brisé le rêve de conquête spatiale se retrouve dans ses livres : Voyage est une uchronie de ce qui aurait pu se passer, Titan est imprégné de l'esprit de conquête, et la série Les Univers multiples met en scène Reid Malenfant, exclu de la NASA qui a décidé de partir dans l'espace avec des capitaux privés. Mais c'est surtout le thème de l'évolution qui passionne Baxter, puisqu'il tente, dans de plusieurs de ses romans, d'imaginer l'évolution de l'humanité quand ce n'est pas celle du cosmos. De même, il se targue de raconter à travers des récits vivants les étapes passées et à venir des mammifère (Evolution) ou celle de la vie depuis le big bang (Exultant). Le moins qu'on puisse dire est que cet ancien professeur de mathématiques, de physique et d'informatique est aussi érudit que passionnant à lire.
Baxter est si stimulant intellectuellement que personne n'a plus honte, grâce à lui, de lire de la science-fiction ; on aurait plutôt honte d'avouer qu'on n'a pas encore lu Baxter.

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ETOILES VIVES 3

(Ed. BIFROST/ETOILES VIVES)


Un numéro spécial de la revue Etoiles Vives lui a été consacré en 1998, avant la parution des Vaisseaux du temps en France, mais après la parution de ses premiers textes en 1997, dans Cyberdreams n°11 (« Au PVSH ») et Galaxies n°6 (« Le bassin logique »). Il contient deux nouvelles de l'auteur, hommage aux Premiers hommes dans la lune de Wells avec l'étonnant « Les hommes-fourmis du Tibet » et au boulet de canon de Verne ainsi qu'à Wells avec « Columbiad » où un personnage de fiction demande à son auteur de l'envoyer à nouveau dans l'espace. Baxter acquiert dès lors sa réputation d'auteur original encore trop peu connu en France. C'est donc Sylvie Denis qui l'a découvert et Gilles Dumay qui l'impose en réunissant autour de ces textes un article critique de Joseph Altairac sur Verne, Wells, Baxter et l'invention de la science-fiction moderne ainsi qu'une bibliographie établie par Alain Sprauel. « Le Bassin logique » retenu par Stéphanie Nicot pour Galaxies en 1997 appartient au cycle des Xeelees, comme l'autre novella publiée l'année suivante dans Bifrost n°8 par Olivier Girard, Les Enfants de Mercure.

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LES VAISSEAUX DU TEMPS

Ailleurs et demain, Laffont, 1998

Ce récit reprend la narration du héros de La Machine à explorer le temps exactement là où H. G. Wells l'avait achevée, il y a cent ans. S'apprêtant à retourner dans le futur pour sauver Weena, la séduisante Eloï, des griffes des Morlocks, le Voyageur découvre un futur différent, où ses ennemis de jadis sont à présent une race évoluée et pacifique, qui a émigré sur le plus vaste territoire jamais conçu : les deux faces d'une vaste sphère englobant le soleil. Il ne lui est même plus possible de retrouver son époque, chaque déplacement dans le temps induisant la création d'un univers parallèle. Ses tentatives, en compagnie d'un Morlock, l'amènent successivement dans un 1938 où la première guerre mondiale n'a pas encore pris fin, au Paléocène où elle se poursuit, et jusqu'aux débuts de l'univers, au delà du big-bang !

Il est impossible de rendre compte en quelques lignes de la richesse et de l'inventivité de ce livre, aux détails prolixes. Le narrateur a plus d'une fois l'occasion de se fréquenter, ce qui, en observateur intègre, ne le rend que moins indulgent envers lui-même.medium_baxtertemps.jpg Ce n'est pas le moindre mérite de Stephen Baxter que d'avoir poussé à l'extrême les paradoxes temporels pour mieux les éliminer : ces derniers ne sont qu'apparents, ce qu'il démontre enformulant, avec la rigueur et la logique du mathématicien qu'il est, un principe de Conservation fonctionnant dans une dimension supérieure intégrant la Multiplicité des Histoires. En effet, cette aventure de l'extrême est également un conte philosophique dénonçant l'absurdité des guerres, apprenant la tolérance et esquissant, à la façon de Zadig de retour de ses pérégrinations, une quête du bonheur (le roman finit d'ailleurs sur ce mot). Les amateurs de sense of wonder ne seront pas déçus en lisant la relation de ce voyage aux confins de l'extrême : il y a longtemps qu'on n'a plus éprouvé pareil vertige.

On ne saurait rêver de plus bel hommage au père de la science-fiction moderne. Baxter a non seulement poussé la réflexion aussi loin qu'a pu le faire son illustre prédécesseur à son époque, il a également imité son style à la perfection, de telle sorte que les deux journaux de voyage semblent bien avoir été écrits par la même plume. Ce livre a déjà ramassé trois prix littéraires, ce qui n'est pas étonnant ; les vaisseaux du temps est plus qu'une performance : c'est un chef d'œuvre !
Gilles Dumay poursuit sa promotion de Baxter dans sa brève anthologie périodique Aventures lointaines, en Présence du futur, chez Denoël : celui-ci figure dans les deux numéros avec une uchronie « Tu ne toucheras plus jamais terre », qui relate le périple de l'aviateur Göring vers le pôle à bord d'un Fokker trafiqué afin de prouver que le système solaire est réellement un planétaire fait de tiges reliant les planètes au soleil. Sa suite, « Mittelwelt », fait de Göring le chancellier d'Allemagne en 1940 alors qu'un bombardier antipodal tente d'empêcher la guerre qui couve entre l'Allemagne et le Japon.
Dans le même temps, J'ai Lu publie Voyage puis successivement deux autres romans consacrés à la conquête spatiale : Titan et Poussière de lune.


0313675b12690ff17fe3a8763a6df723.jpgTITAN

J'AI LU Millénaires

2001

Ancrer son récit dans le futur proche comporte une certaine prise de risque : depuis la première édition de ce roman, la sonde Huygens de la mission Cassini s'est posée sur Titan ; elle a fonctionné bien plus de six minutes à la surface, qui n'était pas exactement celle de "crème brûlée" prévue par les scientifiques. Déjà, dans sa postface de janvier 1997, Stephen Baxter reconnaissait avoir été rattrapé par l'actualité avec la mort prématurée de Carl Sagan. Il n'empêche : raconter la catastrophe de la navette Columbia, même si les circonstances diffèrent, montre que Baxter maîtrise son sujet avec brio. Depuis la rédaction du roman, les Chinois sont bien allés dans l'espace. Mais alors que l'actuel président projette une reconquête de la Lune, et celle de Mars, le Texan ultra conservateur qui préfigure George Bush, en accélérant l'instabilité politique mondiale, met fin aux ambitions spatiales des U.S.A.. Ces menues obsolescences n'obèrent donc en rien les qualités du roman, pathétique récit d'une dernière mission héroïque sur un satellite éloigné, Titan, tant son souci de réalisme apparaît dans chaque détail, ni ne retire rien à son analyse d'un monde trop soucieux de sécurité et de rentabilité pour conserver la moindre fibre aventureuse.
L'analyse économique du système de la NASA, avec son refus de concevoir des modèles économiques, l'éviction de McDonnell Douglass et de son lanceur bon marché, les surcoûts induits par les menues améliorations augmentant la dangerosité des appareils, est d'une rare pertinence et pourrait être exportée vers d'autres domaines. Devançant le démantèlement de la NASA, Hadamard confie à l'astronaute Paula Benacerraf le soin de monter une mission vers Titan, en récupérant les vieilles fusées du programme Apollo mises au rebut alors qu'elles sont encore fonctionnelles ou réparables. C'est dans ce contexte de restrictions budgétaires et d'instabilité politique que s'envolent cinq aventuriers pour un voyage sans retour, davantage justifié par la possibilité de retraiter les composants de Titan en éléments nutritifs et en matériaux exportables vers la Terre que par la recherche de précurseurs de la vie dans la soupe chimique du satellite de Saturne.
Le récit, où le moindre incident se transforme en catastrophe, maintient un suspense constant. Les efforts des astronautes livrés à eux-mêmes suscitent d'autant plus l'admiration qu'ils paraissent pathétiques et voués à l'échec. La fragilité de la vie terrestre n'en devient que plus que évidente et si ce roman-catastrophe bien dans la veine anglo-saxonne s'achève par une surprenante partie laissant entrevoir un espoir, il ne conclut pas moins sur un pessimiste bilan des capacités de l'humanité à se débarrasser de ses démons et à l'aller de l'avant. Titan est, par bien des aspects, un roman de hard science d'une force rare.

fd1506973addb62601a30c648ad62b1c.jpgPOUSSIERE DE LUNE

J'ai Lu Millénaires

2003

Un caillou lunaire, qui n'avait pas encore été étudié depuis que la (fictive) mission Apollo 18 l'avait ramené, et dont quelques poussières volées ont été répandues par un préparateur inconscient sur le basalte d'un volcan d'Écosse, ronge la roche comme un cancer, jusqu'à faire émerger le magma. Henry Meacher, le géologue de la NASA qui considérait ce travail d'analyse comme une mise au placard, comprend que c'est le même phénomène qui vient de détruire Vénus, transformée en canon à trous noirs après la désagrégation de sa croûte. Alors que des cataclysmes se déchaînent, Meacher tente de persuader la NASA que la solution se trouve sur notre satellite qui, bien que contaminé par la poussière, est demeurée intact.
De nos jours, il est plus difficile d'aller sur la Lune que dans les années 60. Baxter se fait l'écho des cosmonautes qui, comme Patrick Baudry en France, considèrent comme un énorme gâchis l'abandon de la conquête spatiale au profit de ronds autour de la Terre à bord d'une inutile station spatiale. Vue l'urgence de la situation, on parvient cependant à bricoler un module lunaire des plus sommaire. La fragilité des dérisoires moyens de transport spatiaux, la solitude de l'homme dans le noir et le silence de l'espace sont particulièrement bien rendus.
On se passionne également pour la trajectoire des personnages fuyant les catastrophes engendrées par la destruction du manteau terrestre. Le récit cataclysmique de Stephen Baxter ne manque pas d'envergure, ce qui ne l'empêche pas de conclure sur une note optimiste amenant à considérer sous un œil plus favorable la poussière de lune responsable de tant de bouleversements.

Outre ces trois romans, les éditions du Rocher publient en 2000 une collaboration avec Arthur C. Clarke :

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LUMIERE DES JOURS ENFUIS

Arthur C. Clarke et Stephen Baxter

Ed. du Rocher

2000

La technologie des trous de ver permet de relier deux espaces très éloignés l'un de l'autre. Si l'énergie qu'elle réclame ne permet pas encore de franchir des distances cosmiques, encore moins d'y expédier des humains, elle autorise par contre l'emploi de caméras capables de filmer ce qui se déroule à l'autre bout du monde. Tout le monde peut donc être espionné à son insu, et les journalistes ne s'en privent pas. Cette découverte intervient au moment où un astéroïde géant, Absinthe, contre lequel le monde est impuissant, annonce l'éradication prochaine de l'espèce humaine. Il n'y a plus de secret pour personne. Les révélations tant politiques que privées changent la donne.

Pire : la Camver permet de filmer le passé et de révéler les mensonges des siècles passés, sur lesquels s'est bâtie la civilisation. Les hauts faits héroïques, la naissance du christianisme, la conquête des libertés sont autant de cinglantes désillusions quand la légende est démolie par la réalité des faits. L'impact de ces révélations, s'il génère des troubles dans un premier temps, finit par faire émerger une nouvelle humanité, plus humble et plus sincère, car n'ayant rien à cacher.

On songe aux enfants d'Icare, où la venue d'extraterrestres est porteuse d'une nouvelle humanité. Sauf que dans le cas présent, l'Apocalypse annoncée tue tout espoir dans l'œuf.


Les protagonistes de cette ultime aventure lui donnent le relief humain nécessaire : l'inventeur de la Camver, Hiram Patterson, richissime conquérant industriel illustrant les temps anciens, ses deux fils Bobby et David, le premier étant un clone que le magnat a cherché à configurer à son image aux moyen d'implants cervicaux, le second, fils d'un premier mariage, étant le réel inventeur de la Camver, et une journaliste, Kate, aussi radicale que critique face à Hiram, qui s'éprendra de Bobby et lui rendra sa liberté, sont autant de personnages attachants parce que bien campés.

Une telle fresque narrant un changement radical de la société, malgré la justesse de certains comportements, n'est pas exempte de naïvetés ni d'erreurs de jugement qui prêtent à sourire, comme quand la jeune génération, se sachant espionnée par les invisibles Camvers, se promène nue et fait l'amour en public. À ces défauts s'ajoutent quelques lourdeurs stylistiques heureusement éparses, probablement dues au souci de précision de Clarke, qui décrit une personne affligée d'épithélium avec une figure « tavelée de multiples cratères de carcinomes basocellulaires ».

Le propos des auteurs n'est cependant pas la peinture sociale dans une période de crise, même si elle occupe une large place – et l'on regrette d'ailleurs que la construction du roman soit bancale sur ce point. Après avoir montré comment la civilisation s'est bâtie sur des mensonges, ils opèrent une poétique rétrospective à travers les âges, remontant le temps jusqu'à l'origine de l'homme puis des espèces qui lui ont donné naissance, pour démontrer que la vie de notre espèce n'est qu'un chanceux hasard, favorisée par de nombreux accidents antérieurs qui auraient pu générer des voies différentes. Cette perspective très humble donne, sur la fin, la véritable tonalité du roman, qui oppose le principe de vie à l'univers, la tragédie de Sisyphe dépassant sa condition humaine pour devenir celle de toute vie qui n'a rien à « attendre de plus de l'univers qu'un coup de massue régulier sur la vie et l'esprit d'évolution parce que l'état d'équilibre du cosmos est véritablement la mort ».

Au final, un livre réussi, qui se perd parfois dans les méandres de son sujet, vu son ampleur, et délivre, malgré tout, un message d'espoir, moins en faveur de l'humanité que de la vie. C'est peut-être en cela que l'on reconnaît la patte de Baxter, que le sujet intéresse au plus haut point, mais il faudra patienter pour cela car, si Evolution est paru en Angleterre en 2002, il ne sera pas traduit avant 3 ans. En fait, hormis Lumière des jours enfuis, paru en 2000, qui s'ajoute aux traductions des J'ai lu, il ne paraît qu'un roman de Baxter tous les deux ans : 2001, 2003, alors que l'auteur est nettement plus prolifique… La situation est pratiquement identique pour les nouvelles : « Lune six » sort en 2001 dans Phénix, « Poussière de réel » en 2002 dans l'anthologie Faux rêveur chez Bragelonne et « Dans le Non-Noir » en 2004 dans Tracés du vertige, chez Flammarion. Heureusement, le roman de la livraison de 2005 est un petit chef d'œuvre, même s'il n'est que partiellement science-fictif…

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ÉVOLUTION


Presses de la Cité


2005

Raconter l'histoire de l'évolution, plus particulièrement celle des mammifères d'où surgira l'Homme, telle est l'entreprise démesurée à laquelle s'est attelée Stephen Baxter. Tout commence soixante-cinq millions d'années avant notre ère avec Purga, petit rongeur acharné à survivre et à se reproduire malgré les dinosaures. Cela se poursuit avec Plesi, un ancêtre de l'écureuil, puis avec Noth, un primate vivant il y a 51 millions d'années. Toujours la même lutte pour exister dans une nature où la compétition est féroce ; passent Vagabonde, Creuse et Capo. Voici le temps des hominidés, la descente de l'arbre, la découverte des outils, la naissance du sentiment religieux, l'émergence de la civilisation, Rome puis le monde moderne menacé par la pollution et la folie des hommes.
Les étapes conceptuelles vers la conscience et l'intelligence sont clairement décrites, en même temps que les bouleversements climatiques et géologiques qui favorisent l'extinction ou l'émergence d'une espèce. Le dinosaure ayant commencé à développer des outils n'aura pas plus de chance que ce cachalot volant, qui se nourrit de plancton aérien, dont le trop fin squelette ne laissera pas de traces. Pour comprimer un aussi gigantesque récit, Baxter procède souvent par agglutination ou concrétion : l'espèce ancienne découvre l'espèce supérieure, qui elle-même voisine avec la suivante.
Cette fresque en trois parties poursuit l'évolution après l'homme, jusqu'à trente et cinq cent millions d'années plus tard, alors que les continents se sont à nouveaux réunis en une seule Pangée et que le soleil agonisant rend la survie difficile. Si l'expansion de la vie se fait dans l'espace, ce n'est pas de la manière qu'on croit.
On ne peut qu'être transporté à la lecture de ces récits tendres et durs à la fois, toujours poignants, jamais ennuyeux, qui brossent une vertigineuse épopée loin de la classique vision anthropocentrique. Ce n'est pas un hasard si des citations de Darwin ouvrent et ferment ce livre. Si la question de nos origines et de notre devenir est omniprésente, elle transcende l'humain par une juste mise en perspective autour du phénomène de la vie, qui a fait de l'adaptabilité le moteur de sa pérennité.
Évolution transporte le lecteur loin, très loin, il émeut et questionne avec intelligence. À lire de toute urgence !

À partir de cette date, le lecteur français a droit à un Baxter par an, car deux séries parallèles sont respectivement entamée aux Presses de la Cité et au Fleuve Noir…

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COALESCENCE


(LES ENFANTS DE LA DESTINÉE T. 1)


PRESSES DE LA CITE


2006

De nos jours, à la mort de son père, George Poole, informaticien londonien, apprend qu'il aurait eu une sœur jumelle. Cherchant à résoudre ce secret familial, sur lequel sa sœur aînée, Regina, expatriée aux États-Unis, refuse de se répandre, il se lance sur la piste de l'Ordre de Sainte Marie Reine des Vierges, une institution basée à Rome, spécialisée dans la généalogie, aidé par Peter, un ancien camarade d'école qui élabore des idées bizarres sur la nature de l'univers, la mécanique quantique ou sur l'Anomalie de Kuiper, l'étrange lumière récemment apparue dans la ceinture d'astéroïdes.
Sous la domination romaine, Regina, fille de dignitaires occupant la Bretagne, voit son univers se délabrer : sa famille dispersée ou décimée en peu de temps, elle est hébergée par la famille de son esclave affranchie, laquelle essuie à son tour des revers et fuit devant les invasions barbares. Malgré la série de malheurs qui l'accablent, Regina, au fort instinct de survie, se fraie un chemin dans la vie, jusqu'à intégrer, à Rome, une communauté féminine, qu'elle va transformer pour assurer à sa descendance un havre de paix. Dans les catacombes transformées en abri inviolable, les femmes de l'Ordre de Sainte Marie prospèrent à l'écart de la folie du monde.
De nos jours encore, Lucia, élevée dans l'Ordre, est effrayée par le destin qui l'attend car elle capable, au contraire de ses sœurs stériles, de concevoir des enfants d'une façon non orthodoxe.
Ces trois récits entrelacés forment une fascinante intrigue qui permet à Stephen Baxter de se pencher une fois de plus sur le thème de l'évolution. Ici, il développe le concept d'émergence en étudiant la façon dont un agrégat d'actions isolées, une coalescence, se transforme en structure : c'est l'embouteillage automobile résultant de décisions individuelles prises dans l'ignorance, c'est la ville adoptant sa physionomie avec ses rues commerçantes et ses quartiers insalubres ou encore une mosaïque d'activités comme le transport de marchandises, les services de voirie ou de sécurité débouchant sur un système autonome, une société qui perdure malgré les actions des dirigeants à leur tête. C'est la ruche, où l'individu, dont le rôle est permutable, n'a pas de vision globale du système. Par sa perfection même, cette eusocialité figée est une impasse évolutive.
La démonstration qu'en fait Baxter à travers son roman est aussi implacable que vertigineuse. Il la poursuit même vingt mille ans dans l'avenir, dans une conclusion opposant l'Expansion à la Coalescence. Et par une de ces acrobaties intellectuelles dont il a le secret, l'auteur parvient à relier son propos à la manipulation de l'espace-temps par un générateur de trou noir et à l'Anomalie de Kuiper qui pourrait bien se révéler être une menace pour l'évolution de l'humanité… dans un volume à venir.
On a du mal à apparenter ce roman à de la science-fiction tant l'essentiel du récit, alternativement conté sur le mode du thriller ou de l'épopée romanesque, est faible en éléments permettant de le reconnaître pour tel. Les révélations entraînant ces puissantes spéculations n'interviennent qu'en fin de volume, après que Poole soit parvenu au terme de sa passionnante enquête et que le récit de Regina, superbe reconstitution historique de la décadence romaine, s'achève, et juste avant de conclure de façon magistrale ce fascinant opus.

La suite, Exultant, sortie en 2006, nous ramène au cœur de la science-fiction avec la suite du combat contre les Xeelees.

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Time (Manifold 1)


Fleuve Noir, 2007


L'argument de départ est du pur Baxter : persuadé que l'avenir de l'homme est dans l'espace, Reid Malenfant, exclu de la NASA, a convaincu des investisseurs de financer un programme concurrent de conquête spatiale à rentabilité immédiate avec l'exploitation d'astéroïdes. C'est un excentrique optimiste qui n'est jamais là où on l'attend. Son ancienne épouse, Emma Stoney, qui est restée sa secrétaire, le soupçonne de s'être inventé une maîtresse juste pour se consacrer davantage à ses projets. Ceux-ci changent notablement quand Cornelius Taine, un mathématicien, qui parvient à théoriser l'extinction de l'humanité dans les deux siècles à venir, par un cataclysme quelconque ou une conséquence de la surpopulation ou de l'épuisement des matières premières, théorie qui ne peut que flatter les idées d'un Reid pressé de voir l'homme quitter la planète. Taine le convainc cependant de tenter une expérience délirante, persuadé que si l'homme est parvenu à s'en sortir, il a envoyé un message dans le passé pour prévenir ses ancêtres. La détection de ce message, réalisée à partir du comptage de neutrinos issus de désintégrations de quarks et d'anti-quarks, est une preuve d'autant plus vertigineuse qu'elle désigne un astéroïde a priori insignifiant, Cruithne, mais dont l'orbite est si bien ajustée à celle de la Terre qu'elle constitue un mystère.
Il n'en faut pas plus pour Reid modifie ses plans, envoyant sa fusée sur un objectif moins facile à atteindre, avec, à son bord, un calmar génétiquement modifié dont l'intelligence, pour rudimentaire qu'elle nous apparaisse, est exceptionnelle par rapport à ses congénères. Sheena 5 sait que son voyage est sans retour et l'accepte plus facilement que bien des humains ayant appris sa présence à bord. Alors que se posent des questions éthiques sur l'emploi de calmars dans l'espace, l'humanité s'inquiète, dans le même temps, de l'apparition d'enfants surdoués à travers le monde, dans des quartiers défavorisés, qui tous dessinent des cercles bleus. La peur qu'ils suscitent amène la société à les confiner dans une école en Australie, où ils sont suivis.
Autour de ces trois axes, les enfants surdoués, les céphalopodes amenés à l'intelligence et le message en provenance du futur, Stephen Baxter élabore une intrigue échevelée, où la découverte sur Cruithne d'un artefact permettant de passer d'un univers à l'autre emmène les héros dans une multitude de mondes parallèles. Tout au long de cette folle aventure se pose la question du sens de la vie et celle de l'immortalité de l'espèce. L'humain se refuse à croire qu'il s'éteindra un jour, au mieux avec la mort de son soleil, ni, s'il parvient à essaimer dans la galaxie et au-delà, à disparaître en même temps que l'univers, lui aussi mortel. La théorie des univers parallèles qu'il développe, si elle assure une pérennité, pose cependant d'autres questions.
Stephen Baxter a le sens du cosmique. La première partie du roman, passionnante dans ses développements très hard science, comme l'usage de particules voyageant dans le temps, l'emploi de calmars pour l'exploration spatiale (déjà utilisé dans une nouvelle), la confiscation de l'espace par la NASA (qui renvoie à ses romans publiés chez J'ai lu). Baxter est le nouvel Arthur C. Clarke, un écrivain d'envergure, qui a un sens de l'intrigue et du rythme capable de transformer le plus assommant exposé scientifique en insoutenable suspense.
Au terme de cette aventure absolue se pose la question de savoir ce que Baxter pourra bien encore raconter dans les prochains volumes de la trilogie (Espace et Origine), tant il semble être allé loin dans l'exploration de son univers. Il est surprenant que ce très grand roman ait dû attendre huit ans pour être traduit en France (mais il est tout aussi irritant de savoir que nombre d'œuvres de Baxter, comme les séries Xeelee, Behemoth et Time's Tapestry, sont toujours inédites chez nous).
A signaler que ce roman a été traduit par Roland Wagner et Sylvie Denis, qui l'a découvert, comme quoi, ici aussi, une boucle est bouclée…



Claude Ecken


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